Page Philosophique du supplément
Expressions-libres.org / Web Philosophie / 2002 /2003
http://www.expressions-libres.org Actualisée le ::27/06/03
- Utopie ( entretien avec Christophe Conot)
- Communisme/Totalitarisme ( Compte-rendu de lecture)
- Heidegger & Husserl ( Liens)
- Kant & la paix perpétuelle ( Cours prépa & article de Revue)
- Mathématiques & idéologies ( Bibliographie)
- Qu'est-ce que la Philosophie ?
Deleuze /Guattari - extrait de A. Gramsci
- Préface emblématique ( Essai d'autocritique de F.Nietzsche)
- Séminaires ( Collège International de Philosophie)
- Le problème de la Vérité: Vérité & Mensonge au sens extra-moral ( texte de Nietzsche 1883)
- Eco-sophie : Félix Guattari ( entretiens avec, explication de l'éco-sophie, site complet sur Guattari)
- Ecologie politique :Jean Zin.
- Mémoire:Passé,présent,avenir ( histoire et philosophie du quatrième pouvoir)
-Karl Korsh ( liens,textes,articles,oeuvre à télécharger "marxisme et Philosophie")
-Ressources >Numéro 8 de la Revue Expressions-libres
-Entretien avec Christophe Conot ( 1)
N.B:
Bonjour
Christophe Conot suite au débat sur Philoliste(2),je souhaitais que vous
développiez le concept d'utopie qui selon vous serait une totalité...De
ce fait,toute la
Fiction
littéraire peut-elle être considérée comme "utopie" ?
C.C:la
fiction littéraire est *systématiquement* (à tous les sens du terme)
utopique, à partir du
moment où
ce qu'elle propose est une mise en relation d'un
*espace-temps*
réel et fictif (le livre, le corps du conteur, et ce
qu'il
exprime - lequel est espace, lequel est temps, peu importe ici,
ils sont
entremêlés) en relation avec un espace-temps réel et fictif
(moi, je,
lecteur, auditeur, spectateur-?-, et ce que je reçois - même
mélange),
et ces deux fixités extérieures et extérieures l'une à
l'autre
entrent en relation au sein d'un troisième *espace-temps*
immédiat
et médiateur, proprement fictif à son tour, mais qui se
réalise
grâce à la conjonction des deux premiers, universel et
particulier
celui-là (c'est omnis et totus en même temps, c'est für
jeder und
für alle - lequel est espace, lequel est temps, etc...) - et
ce 'troisième'
qui vient redoubler la fiction du 'texte' et confère à
toute
lecture, à toute audition, à l'extrême, un caractère fictif est
le
*spectacle* imaginaire (il faut être *voyant* aussi pour
lire/entendre
alors), qui se déploie à la lecture/audition - je ne sais
pas pour
ce qui est du théâtre, de la danse, de la peinture ou du
cinéma,
mais il me semble que cela y fonctionne aussi - cela fonctionne
d'un point
de vue de l'Art.
Cette
rencontre n'est jamais complète, jamais satisfaisante, jamais
suffisante,
mais chacun, dans une perspective d'attente de l'Autre,
fait
(devrait faire) de son mieux pour l'accomplir.
Et le réel
en est forcément transformé. C'est avant et après réalisés
(actualisés?)
Maintenant, c'est l'Un et l'Autre réalisés (idem?) Ici.
( un cours
pourrait/devrait fonctionner de la même manière non ?)
L'utopie
c'est alors vouloir atteindre pleinement à l'Autre (de Non à
Oui,
d'Absent à Présent, de 0 à 1), et ce n'est jamais possible
complètement,
et c'est toujours en cours, et c'est toujours une fiction
que cette
démarche, reflet en somme de la démarche de l'aller vers
l'Autre
dans le réel (dans l'espace de la Cité et dans le temps de Ce
qui sera
(Ceux qui seront), les deux mêlés, à partir de ce qui a été
construit
- de ceux qui ont été construits) - ce qu'est la politique
d'une société
en vie : non pas itération du même, mais mouvement
constant
et répétitif vers le Mieux, l'Autre (et le demain et le
concitoyen),
celui qui n'est pas là présent en même temps et au même
lieu que
moi (Ici et Maintenant il n'y a que moi); et pourtant l'Autre
est là,
je suis libre de l'imaginer (parce que je le dois/ donc je le
dois), et
l'utopie se trouve re-activée, dès que son *accomplissement*
est
approché.
Il
convient de considérer cela avec l'idée que l'utopie peut-être une
anti-utopie.
C'est
peut-être pourquoi la fiction littéraire a été très attaquée
depuis
l'après-guerre (comme par hasard) - l'après première j'entends.
Et la trop
célèbre *fin de l'Histoire* plus récente... Même structure :
l'autre
serait mort, croit-on... Quand il revient c'est en violence.
Malgré
tout, le diable utopique chassé, il est revenu au galop, dans le
policier,
et, surtout, dans la Sciences fiction - classement par genres destiné à
les décrédibiliser
aussi, genres très anglo-saxon, ce qui n'est pas
hasardeux
non plus (l'impérialisme suscite son contre-poison, l'utopie
littéraire
- ou, hélas, quand la fiction n'a plus droit de Cité, c'est
la réalité
qui 'dépasse la fiction' : 11/09.)
Rabelais
c'est évident (Thélème oui, mais aussi inventer le langage
contre les
sorbonnards de toutes sortes), mais Corneille ('défendre le
comédien'
dans l'Illusion Comique, contre leur excommunication),
Molière (
attaquer les tartuffes contre leur pouvoir ahurissant - au
sens
premier) ou Flaubert (faire revivre Carthage,ou de "1840 au coup
d'Etat",
d'un seul coup imaginaire, contre une société haïe de
bourgeois
matérialistes et sombres, qui seront un tant soit peu les
lecteurs
malgré tout, d'où le procès d'ailleurs), Rimbaud bien sûr ("La
vraie vie
est ailleurs", entre mille, ou presque) et Zola (montrer
l'Autre,
donner existence à toute - totus, omnis - la société aux yeux
de tous -
totus, omnis... et de manière scientifique qui plus est,
contre
l'abêtissement et le Capital, déjà )Beckett tout à fait
(anti-utopie
de Fin de Partie, et utopie des mots personnels et
perpétuels,
contre une époque ahurie de plastiques, de frigidaires et
de postes
de télévision), ainsi que Céline (rien que le style, pour
rien que
l'émotion), ce sont des (anti)-utopies.
Nietzsche
aussi non ? Et Kant (fonder une paix perpétuelle ! ou le
jugement
esthétique...) ?
L'utopie
c'est essayer de com-prendre le monde, et essayer de l'offrir
à tous...
C'est une prétention absolue, et à ce titre c'est sans
intérêt...
enfin quelque chose sans intérêt...
C'est en
somme ce que fait n'importe quelle expression publique, avec
la seule réserve
que c'est la dimension artistique qui le mieux (la
seule?)
permet d'aller vers le plus grand nombre, sans courir le risque
de devenir
un *discours* pour la 'masse' (depuis une tribune par
exemple).
La
connaissance et les savoirs sont parallèlement des moyens de mise en
oeuvre
pratique de l'utopie ainsi activée (voir par exemple l'idée
reprise
aux Grecs d'une reddition des comptes - mais cela même vient de
l'utopie
première : faire mieux), et bien entendu les moyens d'accéder
à
l'utopie littéraire... Encore une fois l'un et l'autre emmêlés,
s'entraînant
à la manière d'une boule de neige.
C'est
aussi en cela que toute oeuvre est morale, en plus d'être
esthétique,
que toute loi l'est aussi, en plus d'être politique. Ce que
d'aucuns
ont plus que tendance à oublier (dans tous les camps)...
Ou bien
encore : l'utopie est la morale de l'histoire (Histoire), en
somme, de
tout (tous) ce (ceux) qui reste (restent).
Le problème,
qui reste entier, est : souhaite-t-on cela ? (à savoir
chercher
l'achevé sans jamais y parvenir; rester dans l'imperfection,
dans un
espace-temps en torsions perpétuelles); ou préfère-t-on
l'apothéose
(le héros parfait finit chez les dieux, pour toujours et à
jamais,
dans un espace-temps complété.) ?
Parce que
l'utopie littéraire c'est aussi accepter de sortir du mythe
(celui du
*sauveur* tout particulièrement, icône de la *masse*),
prendre le
risque et la responsabilité de l'aventure, pour soi, pour
tous,
entre soi, entre tous. (lire/relire la destruction du mythe
opérée
dans *Le Satyre*, "La Légende Des Siècles", V. Hugo - oeuvre
faisant
longuement état d'un Léviathan, soit dit en passant, et oeuvre
qui
renverse la proposition du frontispice de l'édition originale de
Hobbes :
c'est l'Un qui 'fait' Tous, l'Oeuvre (très atomisée tout de
même,
elle part du 'réel' historique, des mythes...) qui 'crée/libère'
chaque
lecteur, du moins dans le projet du recueil, et cela rejoint
l'utopie
littéraire : chaque fiction a vocation à disparaître parce
(par ce)
qu'elle libère chez tous/chacun)...
Le Livre
mallarméen ou la Cité idéale sont des fictions, des utopies,
des
constructions mentales, pas des réalisations, ni des propositions
de réalisations
- à moins que Demain Les Chiens... anti-utopie qui se
termine
ainsi : "Mieux vaut perdre un monde que de revenir au
meurtre."...
l'humain d'aujourd'hui n'est pas l'état achevé...
La fiction
n'est pas plus *totalitaire* que le philosophie, elle
ne
cautionne pas non plus de crimes - à moins de la dé-naturer, de la
faire
passer pour un réel 'possible', ce qu'elle ne saurait être -
c'est par
la médiation d'êtres (lieux fictifs ET réels, inachevés -
heureusement)
que tout cela a lieu : ce sont eux (nous) les
responsables.
N.B:Que
pensez-vous de la préface de Claude Mazauric dans « l'Utopie » de
Thomas More édité chez Librio qui s’appuie sur le principe espérance
de Ernst Bloch ?
C.C:Je
me suis essentiellement placé dans la perspective d'une littérature
qui
ressortit à la fiction. A partir du moment où vous acceptez
l'hypothèse
qu'un roman de Zola entre bien dans ce cadre (le mot est
précis -
Les premiers films des frères Lumières - contemporains - sont,
de par le
cadre, des fictions, et 'La sortie des usines Lumières' en
est même
purement une : il y a mise en scène, si on regarde l'oeuvre de
près...),
il entre dans le champ *utopique* que j'ai essayé de définir.
La préface
que vous citez se place du point de vue de la réception du
texte,
postulant, ce qui est à mon sens une 'faille' dans de nombreuses
réflexions
sur la littérature, que le texte serait lu de manière
univoque
par une sorte d'instance réceptrice universelle.
Si je
parlai à un autre propos d'incidence de l'instance énonciatrice,
il y a
aussi incidence de l'instance réceptrice : il est évident que
personne
ne lit plus Zola tel qu'il a été lu alors, que personne n'a lu
le même
Zola...
Sauf que,
bien entendu. Zola est toujours lu... et que nous pouvons en
parler...
premier retour à une certaine réalité, d'ailleurs.
Ce que je
nomme utopie, dans ce cadre, est la relation qui se noue
entre
auteur et lecteur , ou plus exactement, que
auteur et
lecteur puissent envisager *partager* une fiction - et, parce
que c'est
une fiction à portée esthétique (là encore j'abrège), cela
fonctionne,
sans les dérives de 'masse' que l'on peut aisément imaginer !
Il n'en
reste pas moins que c'est une utopie à chaque fois renouvelée,
à chaque
livre, à chaque lecteur, à chaque lecture même (je suis un
lecteur
multiple, d'une heure l'autre même). Et que souvent, pour de
multiples
raisons, dont le manque d'instruction n'est pas la moindre,
cela ne
fonctionne pas.
Et qu'en
somme l'on pourrait dire que l'utopie est une fiction, n'a pas
vocation
à être réalisée !
Mais ce
n'est pas holiste, en ce sens que c'est aussi atomiste...
Un
Paradoxe plutôt, que réussit merveilleusement Le Satyre
de Hugo,
qui est une figure empilant les trois strates : auteur, texte
(fiction,
disons chant), et lecteur.
J'ajoute
cela, même ordre d 'idée; Zola, 'Le roman expérimental' :
"(...)
montrer l'homme vivant dans le milieu social qu'il a produit
lui-même,
qu'il modifie tous les jours, et au sein duquel il éprouve à
son tour
une transformation continue."
Et tout
Zola, par ce (parce) qu'il montre ce qui n'avait pas encore
été
montré en littérature 'noble' - en gros, est utopique : le
naturalisme
est à présent défini (H. Mitterand) comme un réalisme
poussé,
extrême, c'est-à-dire que l'on se rattache à Balzac, Stendhal,
etc... On
peut ajouter le Aragon du cycle dont font partie 'Aurélien',
'Les
Voyageurs...',etc
Cela
signifie que l'on est placé dans une
analyse,
une vision par strates, du monde, et qu'est à l'oeuvre une
mise à nu
des structures sociales : la portée utopique est apurée au
plus : les
'bienfaits' sont exposés, afin d'être conservés, de même que
les
'travers' montrés ne le sont qu'en vue d'être dénoncés, et afin que
la réalité
(politique avant tout) y remédie : 'Le Roman expérimental'
encore :
"Nous dégageons les déterminismes des phénomènes humains et
sociaux
pour qu'on puisse un jour dominer et diriger ces phénomènes".
'Le roman
expérimental' toujours - 1880 : "(...) nous travaillons avec
tout le siècle
à la grande oeuvre qui est la conquête de la nature, la
puissance
de l'homme décuplée."
Ce qui
n'empêche d'ailleurs pas ses propres romans de remettre ce
modèle en
cause - l'utopie de l'intention de l'auteur est dépassée par
la
puissance utopique du chant, celui qui dévoile le monde, malgré tout
et tous.
N'est-il pas utopique de prétendre à cela, alors que tout
auteur
pourtant y prétend.
Un dernier
mot, de Maupassant (réaliste 'extrême' lui aussi ) : J'en
conclus
que les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des
Illusionnistes...
Préface à Pierre et Jean, 1887.
Si je me
rappelle mes cours d'esthétique, Adorno, s'appuyant sur
Kant, a défini
l'avant-garde comme un pas trop loin dans la part
d'imagination
que peut accepter l'horizon d'attente du 'récepteur'
(c'est
sans doute assez mal reformulé !); il convient d'envisager TOUS
les grands
textes sous cet angle (MOLIERE a été d'avant-garde, sans nul
doute,
travaillant déjà sur des personnages plutôt que sur des
caractères,voire
Don Juan par exemple, trop complexe pour les canons de
l'époque,
Zola aussi, bien entendu... d'où scandales, incompréhensions,
Avec
Rimbaud on a l'exemple encore plus frappant, aucun écho ou
presque de
son vivant...), et de saisir que tout auteur veut porter son
chant un
pas plus loin que tout ce qui a déjà été chanté. N'est-ce pas
utopique
d'aller au- delà, premièrement, et de vouloir encore partager
cela,
deuxièmement ? C'est une manière de faire avancer le monde non ?
Christophe Conot est professeur de lettres et passionné par l’Utopie/contact:cvat@wanadoo.fr
Philoliste est une liste de professeurs de Philosophie accueillant des invités...
Claude Mazauric est le préfacier de L’Utopie de Thomas More édité dans la coll.Librio,2001;il développe beaucoup le principe Espérance de Ernst Bloch dans la préface du livre.
Entretien avec Félix Guattari par E.Videcoq &JY Sparel " Qu'est-ce que l'Ecosophie ? " Décembre 1991.http://www.revue-chimeres.org/pdf/28chi03.pdf
Félix Guattari, dans un ouvrage majeur, "Les trois écologies" (Paris, Galilée, 1989) développe la notion d'"écosophie" qui repose sur trois écologies. La première, environnementale, est la démarche écologique ordinaire. La deuxième, sociale, consiste à s'opposer au capitalisme mondial intégré, en recréant des espaces d'économie individuelle, autonome, et des rapports sociaux ou familiaux "réinventés” ; enfin l'écologie mentale qui, pour Guattari l'expert en psychanalyse, permet la réhabilitation de la subjectivité, de la singularité. F. Guattari montre que l'écologie environnementale devrait être pensée d'un seul tenant avec l'écologie sociale et l'écologie mentale, à travers une "écosophie" de caractèr éthico-politique http://www.collectifs.net/cst/article.php3?id_article=93
site Felix Guattari /Revue Chimères ( séminaires,articles,oeuvres commentées,bibliographie)
site de Jean Zin sur l'écologie politique:Critique
écologique et politique de la domination économique, analyse
des transformations du travail, de la nouvelle économie, et défense
du Droit au revenu. Ce projet politique s'appuie sur une philosophie
de la liberté, de la lutte et de l'expression. Café philosophique et
Prêt-à-penser (nombreuses citations d'auteurs) essayent de donner
accès à cette synthèse de la pensée critique (Hegel, Marx, Debord)
qui comporte plus de trois cents textes : histoire des religions,
critique des sciences (Prigogine, René Thom), de la dégradation de la
psychanalyse en psychothérapie (Lacan), etc.
Sauf indication contraire, la plupart des textes sont de Jean Zin,
bien que de qualités très inégales. Certains sont difficiles
(Critique de l'idéologie psychanalytique, La Logique de Hegel) mais
il y a aussi des textes pédagogiques (Café philosophique, Prêt-à-
penser, Formation de l'esprit) qui sont destinés à tous, sans parler
des textes politiques (Ecologie-Politique)http://perso.wanadoo.fr/marxiens/
Vérité & Mensonge au sens extra-moral Nietzsche 1883 . ( texte à télécharger)
site excellent à visiter http://perso.club-internet.fr/michelar/
Note de lecture à propos du livre de Rachel Mazuy " croire plutôt que voir ? voyages en Russie soviétique 1919 - 1939 ,odile Jacob,2002, article redigé par Nadia .Burgrave dans le N° 4 d'Expressions Libres sept 2002 et la Revue Respublica en novembre 2002.
A partir d’Archives publiques françaises ou étrangères ( tout particulièrement celles de Moscou) ou de sources privées (carnets de voyage, journaux, lettres, cartes postales ou photographies et entretiens) Rachel Mazuy raconte l’histoire de ces voyageurs, célèbres ou obscurs, qui, entre 1919 et 1939 ont accompli des séjours en Russie soviétique. Ce sont les voyageurs eux-mêmes qui ont intéressé l’auteur - militants communistes, ouvriers ou écrivains, journalistes, intellectuels sympathisants - plus que le récit de voyage ou l’image de la Russie qu’ils rapportent.
L’effondrement des Démocraties populaires et de l’URSS en 1991 ont constitué une occasion de renouveler en profondeur l’historiographie sur le communisme grâce aux progrès de la documentation ( Ouverture des archives soviétiques, de l’Internationale communiste et des partis communistes). Si certains ouvrages ( qu’on songe au Livre noir du communisme sous la direction de Stéphane Courtois) ont suscité des polémiques par l’amalgame entre communisme et nazisme et le sensationnalisme de ce qui a été présenté comme un best-seller, la démarche de Rachel Mazuy est éloignée des effets de modes idéologiques et s’inscrit dans une réflexion plus approfondie à la suite de celle de Jacques Toussaint-Desanti, l’une des figures marquantes de l’intelligentsia du P.C.F qui analysait, en 1982, dans son autobiographie intellectuelle le mécanisme de « l’aveuglement qui fait plier la raison sous la croyance « et de l’historien Claude Pennetier qui dans « le siècle des Communismes « grâce à une solide approche scientifique et historique rendait compte de la nature du phénomène communiste dans le monde ,de la spécificité de chaque communisme et des mécanismes de coercition dans l’organisation des partis de masse qui ont intégré les classes populaires .
Qui est l’auteur de ce livre ? Quel parcours l’a mené jusqu’à l’ouvrage dont nous parlons ici? L’historienne Rachel Mazuy, agrégée et docteur en Histoire chargée de conférence à l’IEP et professeur au lycée Honoré de Balzac n’en est pas à son coup d’essai. Elle fut impliquée dans la rédaction de l’ouvrage de référence sur le mouvement ouvrier en France, le « Maitron » ; En effet, elle a participé à cette œuvre unique en son genre comme en témoignait à l’époque de sa parution Michelle Perrot, qui y voyait un dictionnaire en forme d’« hommage aux militants, particulièrement aux obscurs et aux sans grades …et dont la trace risque de disparaître.. . Par ailleurs, sa thèse en histoire dirigée par JP Azema s’est appuyée sur les récits de voyages parus dans la presse entre 1917 et 1944 : Cachin, Frossart, Barbusse, Aragon … dans « Partir en Russie soviétique. Voyages, séjours et missions des Français.. », des articles parus dans Relations Internationales et d’autres revues, puis une contribution aux côtés de Michel Dreyfus, Claude Pennetier et Nathalie Viet Paul dans Les voyageurs en URSS entre 1917 et 1944 ( aux éditions de L’Atelier, en 1996. Tous ces travaux font de Rachel Mazuy une spécialiste du sujet.
Ainsi, nous retrouvons au fil des 300 pages des noms connus comme ceux d’Albert Londres, de Louise Weiss, d’André Gide, d’André Malraux, ou de ceux de la « Génération Thorez », Gabriel Péri, Charles Tillon, cadres du PCF. On retrouve aussi Madeleine Pelletier, militante féministe venu voir par elle-même dès 1921 la réalisation de l’égalité des sexes là où brille la grande lueur à l’Est. Et même la Duchesse Clermont-Tonnerre !
Aventureux, longs et périlleux les voyages en Russie sont très vite organisés, encadrés et contrôles par les autorités soviétiques, un tourisme idéologique qui n’a rien à envier aux circuits des voyagistes actuels ( Intourist, VOKS, l’union des écrivains, le Komintern, les Amis de l’Union soviétique, l’Ecole léniniste internationale)et qui préfigurerait pour l’auteur le tourisme de masse de l’après seconde guerre. Les Voyages au « pays des Soviets » sont alors intégrés à des mécanismes de propagande bien huilés, véritables campagnes de promotion de la « vérité ouvrière » qui doit être reprise au retour et propagée comme les Evangiles, ces récits écrits ou oralisés fondés sur la preuve « visuelle » et qui doit démontrer la supériorité de cette vérité sur la « contre-vérité bourgeoise. Moscou à l’heure de Staline devient de fait, pour l’auteur la matrice d’une culture politique pour les militants français comme pour l’ensemble de l’élite culturelle ou politique ; mais aussi : un lieu de pèlerinage, de voyage initiatique qui influence l’itinéraire individuel de chacun, politique et social ( de la promotion à la sanction pour les militants du parti, à la conversion pour les sympathisants ou l’apostasie comme André Gide, Victor Serge et d’autres militants critiques..)
Croire plutôt que
voir ? Est un livre qui nous plonge au-delà des anecdotes de ces vies
de militants exhumées des Archives dans le système, dans le cœur de la
religiosité idéologique : que les femmes russes travaillent la nuit, que
la famine emporte l’Ukraine, que certains soient internés dans des camps de
travaux forcés, que les procès politiques éliminent les dissidents , que le
culte de la personnalité idolâtre Staline,que les Trotskistes soient pourchassés
tout cela est effacé par le credo de
l’orthodoxie du « Parti », allant jusqu’à gommer les quelques
protestations et les doutes, exprimées ou pas, des communistes français. Ce
dispositif sur-légitimise une rationalité politique qui à plus à voir avec
la « foi » qu’avec l’esprit critique
et la réalité perçue, insérant son discours dans une perspective
historique depuis la violence révolutionnaire et l’expérience de la Guerre,
qui justifient la politique soviétique de la répression, des crimes et de la
terreur sous Lénine et sous Staline. Kant avait su distinguer ce phénomène :
la croyance, telle que l’auteur de la Critique de la raison pure l’envisageait, différenciée du savoir, ce quelque
chose qui n’est ni
conviction ni persuasion, est très nettement illustrée, là, dans ce
livre. Nul besoin aux soviétiques d’appuyer leur propagande, les militants bien souvent se font presque «
naturellement » propagandistes à leur retour en France de ce qu’il faut
croire et raconter plutôt que de ce qu’ils ont vu aux » pays des
Soviets ».Leur aveuglement n’en est que plus symptomatique.
Rachel Mazuy réussit parfaitement son essai d’analogie entre pèlerinage et voyage, entre croyance mystique et croyance politique grâce à un patient travail de documentation et à des analyses judicieuses qui font de cette biographie collective des Français de l’entre deux guerres un livre indispensable à ceux qui voudront comprendre la spécificité de ce XX è siècle. On regrette, cependant, que la fascination exercée par le Communisme( par la force de son messianisme et de son idéal humaniste) n’ait pas été suffisamment abordée.C’est par cette analyse qu’on pourra mieux faire la distinction entre nazisme et communisme et répondre aux « comparistes révisionistes « comme l’historien Ernst Nolte.
Par un heureux hasard éditorial, la sortie de Croire plutôt que voir correspond à la réédition et à la révision par Pierre Bouretz (dans la collection Quarto chez Gallimard) d’une des œuvres les plus fondamentales de la philosophie politique : Les origines du totalitarisme, d‘Hannah Arendt. Mais est-ce vraiment un hasard ? Ce rapprochement entre ces deux livres n’est-il pas plutôt le fait des questionnements de notre début de siècle comme l’a exprimé Pierre Hassner : Qu’est-ce qui « dans la nature humaine et dans le processus de civilisation a permis les barbaries du Xxème siècle ? Quelle action politique empêcherait « leur retour sous d’autres formes « ?
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ressouces web établies pour Fac Philo http://www.univ-lyon3.fr/philo/husserl.htm
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The film, shot by James L. Adams, dates from 1936 and is originally silent. Of
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- Cours de J.Morne : "La paix perpétuelle,une utopie ?" http://pierre.campion2.free.fr/mornejkant.htm
- Article publié dans Expressions-libres sept.2002
La Paix perpetuelle est -elle possible ? Kant ou la raison irénique par C.paillard
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- Karl Korsh par Paul Mattick ( 1964) http://expressionslibres6.free.fr
- Lire " Marxisme & Philosophie ", 1923,revu en 1931. (version anglaise):http://www.marxists.org/reference/subject/philosophy/works/ge/korsch.htm
- la crise du marxisme (Texte de 1931)http://www.left-dis.nl/f/marxcris.htm
-l'idéologie marxiste en Russie ( Texte de 1938)http://www.left-dis.nl/f/idkorsch.htm
- The present state of problem of Marx ism & philosophy:an anti-critic( Karl Korsch): http://www.geocities.com/cordobakaf/marxphil.html
-Why Am I a Marxist ? ( Karl Korsh ): http://www.geocities.com/cordobakaf/korschmarx.html
-introduction to the capital ( Karl Korch: http://www.geocities.com/cordobakaf/korschcapitala.html
-Karl Korsch a marxist friend of anarchism ( A.L Giles Peters,1967,1973) : http://www.geocities.com/CapitolHill/Lobby/2379/korsh.htm
- Lettre d'Amadeo Bordiga à Karl Korsh ( 1926):http://www.sinistra.net/lib/upt/prcomi/ropa/ropanrobuf.html#text
- le marxisme ( état et définition ) Denis Collin:http://dicophilo.free.fr/dicom.htm
-Ecole de Francfort /Dialectiques: http://www.chez.com/patder/biblio.htm
-Relire Korsh ( introduction à" Guerre & Révolution de Karl Korsh " http://abirato.free.fr/
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Whoever controls the image and informations of the past determines what and how future generation will think; Whoever controls the information and the images of the present determines how those same people will view the past...(George Orwell 1984 )
Une thèse,une idée à discuter...
La politique de la juste mémoire
Paul Ricœur propose d'échapper aux excès du souvenir aussi bien qu'aux méfaits de l'amnésie
LA MÉMOIRE, L'HISTOIRE, L'OUBLI de Paul Ricœur. Seuil, "Points-Essais", 702
p.
Parue à l'automne 2000, cette ample réflexion de Paul Ricœur prolonge et complète plusieurs de ses travaux précédents, principalement les trois volumes de Temps et récit (Seuil, 1983-1985) et Soi-même comme un autre (Seuil, 1990). On y retrouve en effet, dans un contexte parfois modifié, des problèmes comme la question de la vérité en histoire ou la question de la promesse et du pardon. L'ouvrage a toutefois suscité bon nombre de débats, qui sont loin d'être clos, et quelques malentendus qui persistent eux aussi. Car le philosophe a mêlé, dans les trois volets d'une œuvre soutenue par un souffle qui force au respect, ce qu'on pourrait dénommer questions froides et questions chaudes.
Questions froides, celles qui appartiennent en un sens à une réflexion philosophique par certains aspects intemporelle, par exemple : comment se souvient-on ? de quelle manière s'exerce notre mémoire ? comment s'articulent ses versants individuel et collectif ? Ou encore : que font au juste les historiens ? de quel type est la connaissance du passé qu'ils constituent ? Questions chaudes, au contraire, celles qui se rattachent directement aux tragédies du XXe siècle, et singulièrement à la Shoah, dont Ricœur parle beaucoup en la nommant assez peu : à quoi servent les grands procès publics ? le devoir de mémoire conduit-il à des abus, des formes d'excès par manque de place laissée au nécessaire oubli ? que serait une politique de la juste mémoire, capable à la fois de garder vif le souvenir des crimes et de laisser place à l'esprit de pardon ?
Il semble que l'on ait souvent perdu de vue, dans les discussions suscitées par ce livre, que toute son ambition et sa difficulté tiennent à la conjonction de ces deux registres. Le projet philosophique de Ricœur mobilise en effet une foule de références et d'auteurs (de Platon à
Koselleck, en passant notamment par Augustin, Bergson ou Halbwachs) pour parvenir à éclairer d'un jour nouveau les interrogations éthiques et politiques les plus brûlantes. Même si l'on ne partage pas ses analyses, on évitera de lui faire un mauvais procès en dissociant ce que ce livre s'efforce d'unir, travail conceptuel et engagement civique.
Une attention particulière doit être accordée en particulier à l'ultime proposition de cet essai. En esquissant la possibilité d'une politique du pardon, Ricœur s'efforce de concevoir une forme d'oubli qui ne serait plus un effacement, et se tiendrait en quelque sorte au-delà de la commémoration. "Pourquoi ne peut-on pas parler d'oubli heureux, exactement comme on a pu parler de mémoire heureuse ?", demande le philosophe avant de mettre en lumière les difficultés et l'espoir de cet oubli paradoxal. Même si la discussion demeure évidemment ouverte, car bien des points de l'analyse de Ricœur la suscitent, il est toutefois devenu impossible, sur ces questions, d'ignorer cet ouvrage.
R.-P. D.le Monde http://www.lemonde.fr
Quatrième Pouvoir: - Numéro 3 de la Revue expressions-libres
- Acrimed:-objectif du site Acrimed: Action-critique-média
Action-CRItique-MEDias [Acrimed] est, comme son nom l'indique, une
association de critique des médias qui se propose de se constituer en
Observatoire des médias et d'intervenir publiquement, par tous les
moyens à sa disposition, pour mettre en question la marchandisation
de l'information, de la culture et du divertissement, ainsi que les
dérives du journalisme quand il est assujetti aux pouvoirs politiques
et financiers et quand il véhicule le prêt-à-penser de la société de
marché.
http://acrimed.samizdat.net/rubrique.php3?id_rubrique=107
Numéro 8 de la revue Expressions-libres (
nouveaux sites en vue)
<<< retour liste titres disponibles
Gilles Deleuze & Felix Guattari " Quest-ce que la Philosophie ?",ed de Minuit,coll.critique,1991.
CR de lecture par Roger Pol Droit ( le Monde)
Robert Maggiori dans Libération à propos de l'amitié philosophique Deleuze/Guattari
Extrait de l'Introduction à l'étude de la philosophie, Gramsci,Cahiers de prison,XVIII,11.
Il faut détruire le préjugé très répandu que
la philosophie est quelque chose de très difficile du fait qu'elle est
l'activité intellectuelle propre d'une, catégorie déterminée de savants spécialisés
ou de philosophes professionnels ayant un système philosophique.
Il faut donc démontrer en tout premier lieu que tous les hommes sont «philosophes»,
en définissant les limites et les caractères de cette «philosophie spontanée>,
propre à c tout le monde >, c'est-à-dire de la philosophie qui est contenue
: 1. dans le langage même, qui est un ensemble de notions et de concepts déterminés
et non certes exclusivement de mots grammaticalement vides de contenu ; 2. dans
le sens commun et le bon sens ; 3. dans la religion populaire et donc également
dans tout le système de croyances, de superstitions, opinions, façons de voir
et d'agir qui sont ramassées généralement dans ce qu'on appelle le c folklore
».
Une fois démontré que tout le monde est
philosophe, chacun à sa manière, il est vrai, et de façon inconsciente - car
même dans la manifestation la plus humble d'une quelconque activité
intellectuelle, le «langage> par exemple, est contenue une conception du
monde déterminée -, on passe au second moment, qui est celui de la critique et
de la conscience, c'est-à dire à la question : est-il préférable de «
penser » sans en avoir une conscience critique, sans souci d'unité et au gré
des circonstances, autrement dit de « participer » à une conception du monde
« imposée » mécaniquement par le milieu ambiant ; ce qui revient à dire par
un de ces nombreux groupes sociaux dans lesquels tout homme est automatiquement
entraîné dès son entrée dans le monde conscient (et qui peut être son
village ou sa province, avoir ses racines dans la paroisse et dans l' « activité
intellectuelle > du curé ou de l'ancêtre patriarcal dont la « sagesse »
fait loi, de la bonne femme qui a hérité de la science des sorcières ou du
petit intellectuel aigri dans sa propre sottise et son impuissance à agir) ; ou
bien est-il préférable d'élaborer sa propre conception du monde consciemment
et suivant une attitude critique et par conséquent, en liaison avec le travail
de son propre cerveau, choisir sa propre sphère d'activité, participer
activement à la production de l'histoire du monde, être à soi-même son
propre guide au lieu d'accepter passivement et de l'extérieur, une empreinte
imposée à sa propre personnalité ?
Note
1. - Pour sa propre conception du monde, on
appartient à un groupement déterminé, et précisément à celui qui réunit
les éléments sociaux partageant une même façon de penser et d'agir.
On est toujours les conformistes de quelque conformisme, on est toujours
homme-masse ou homme collectif. Le
problème est le suivant : de quel type historique est le conformisme, l'homme-masse
dont fait partie un individu ? Quand sa conception du monde. n'est pas critique
et cohérente mais fonction du moment et sans unité, l'homme appartient
simultanément à une multiplicité d'hommes-masses, sa personnalité se trouve
bizarrement composite : il y a en elle des éléments de l'homme des cavernes et
des principes de la science la plus moderne et la plus avancée, des préjugés
de toutes les phases historiques passées, misérablement particularistes et des
intuitions d'une philosophie d'avenir comme en possédera le genre humain
quand il aura réalisé son unité mondiale.
Critiquer sa propre conception du monde signifle donc la rendre unitaire
et cohérente et
l'élever au point où est,parvenue la pensée
mondiale la plus avancée. Cela
veut donc dire aussi critiquer toute la philosophie élaborée jusqu'à ce jour,
dans la mesure où elle a laissé des stratifications consolidées dans la
philosophie populaire. Le
commencement de l'élaboration critique est la conscience de ce qu'on est réellement,
un « connais-toi toi-même » conçu comme produit du processus historique qui
s'est jusqu'ici déroulé et qui a laissé en chacun de nous une infinité de
traces reçues sans bénéfice d'inventaire.
C'est cet inventaire qu'il faut faire en premier lieu.
Note
2. - On ne peut séparer la philosophie de l'histoire
de la philosophie et la culture de l'histoire de la culture.
Au sens le plus immédiat et adhérant le mieux à la réalité, on ne
peut être philosophe, c'est-à-dire avoir une conception du monde critiquement
cohérente, sans avoir conscience de son historicité, de la phase de développement
qu'eue représente et du fait queue est en contradiction avec d'autres
conceptions. Notre conception du monde répond à des problèmes déterminés
posés par la réalité, qui sont bien déterminés et « originaux > dans
leur actualité. Comment est-il
possible de penser le présent et un présent bien déterminé avec une pensée
élaborée pour des problèmes d'un passé souvent bien lointain et dépassé 7
Si cela arrive, c'est que nous sommes e anachroniques > dans notre propre
temps, des fossiles et non des êtres vivants dans le monde moderne, ou tout au
moins que nous sommes bizarrement « composites ». Et il arrive en effet que
des groupes sociaux, qui par certains côtés expriment l'aspect moderne le plus
développé, sont, par d'autres, en retard par leur position sociale et donc
incapables d'une complète autonomie historique.
Note
3. - S'il est vrai que tout langage contient les éléments
d'une conception du monde et d'une culture, il sera également vrai que le
langage de chacun révélera la plus ou moins grande complexité de sa
conception du monde. Ceux qui ne
parlent que le dialecte ou comprennent la langue nationale plus ou moins bien,
participent nécessairement d'une intuition du monde plus ou moins restreinte et
provinciale, fossilisée, anachronique, en face des grands courants de pensée
qui dominent l'histoire mondiale. Leurs
intérêts seront restreints, plus ou moins corporatifs ou économistes, mais
pas universels. S'il n'est pas
toujours possible d'apprendre plusieurs langues étrangères pour se mettre en
contact avec des vies culturelles différentes, il faut au moins bien apprendre
sa langue nationale. Une grande
Culture peut se traduire dans la langue d'une autre grande culture, c'est-à-dire
qu'une grande langue nationale, historiquement riche et complexe, peut traduire
n'importe quelle autre grande culture, être en somme une expression mondiale.
Mais un dialecte ne peut pas faire la même chose.
Note 4. - Créer une nouvelle culture ne signifié pas seulement faire individuellement des découvertes c originales », cela signifie aussi et surtout diffuser critiquement des vérités déjà découvertes, les c socialiser » pour ainsi dire et faire par cou"quent qu'ehes deviennent des bases d'actions vitales, éléments de coordination et d'ordre intellectuel et moral. Qu'une masse d'hommes soit amenée.â penser d'une manière cohérente et unitaire la réalité présente, est un fait c philosophique » bien plus important et original que la découverte faite par un c génie à, philosophique d'une nouvelle vérité qui reste le patrimoine de petits groupes intellectuels.
A.Gramsci,Cahiers
de prison ,1927-1937.
Nietzsche,Essai d'une critique de soi-même,in Naissance de la Tragédie, 1872.
ESSAI
D'UNE CRITIQUE DE
SOI-MÊME – F. NIETZSCHE Texte de 1886.
1
Au
fondement de ce livre discutable, il doit y avoir eu un problème de premier
ordre et de grand attrait, et en outre une profonde interrogation personnelle ;
- ce qui en témoigne, c'est l'époque où ce livre fut conçu, malgré laquelle il fut conçu, l'époque troublante de la guerre de
1870-71 . Pendant que le tonnerre des canons de Woerth remplissait l'Europe de
ses échos, le chercheur subtil, ami des énigmes, auquel pour une part revient
la paternité de cet ouvrage, s'était retiré dans quelque coin des Alpes,
l'esprit saturé de subtilité et de mystère, donc très soucieux et insoucieux
à la fois.
Il notait ses réflexions sur les Grecs,
- noyau de ce livre étrange et difficile auquel est consacrée cette
tardive préface (ou postface).
Quelques semaines après, il se trouvait lui-même sous les murs de Metz,
sans avoir réussi encore à répondre aux questions qu'il s'était posées en
face de la prétendue « sérénité » des Grecs et de l'art grec; jusqu'à ce
qu’enfin, lui aussi, dans ce mois de profonde tension durant lequel on délibérait
de la paix à Versailles, il se mît en paix avec lui-même et, tout en guérissant
lentement d'une maladie qu'il avait rapportée du front, finît par découvrir
« l'origine de la tragédie dans le génie de la musique » - L'origine dans la
musique?
Musique ou tragédie?
Grecs et musique de tragédie ? Les Grecs et l'oeuvre d'art du pessimisme
? De toutes les races d'hommes, la plus accomplie, la plus belle, la plus
justement enviée, la plus entrâinante vers la vie, les Grecs, - comment ?
justement ceux-ci eurent besoin de la
tragédie ? Plus encore - de l'art ? A quelle fin l'art grec ? …
On
devine à quelle place se dressait alors le grand point d'interrogation de la
valeur de l'existence'.
Le pessimisme est-il nécessairement
le signe du déclin, de la décadence, de la faillite des instincts lassés
et affaiblis ? comme ce fut le cas pour les Hindous ; comme il semble, selon
toute apparence, que cela soit pour nous autres, hommes « modernes » et Européens
? Y a-t-il un pessimisme de la force ? Une
prédilection intellectuelle pour l'âpreté, l'horreur, la cruauté, les problèmes
de l'existence, due à la surabondance de santé, à un trop-plein de l'existence ? Cette plénitude excessive elle-même ne
comporte-t-elle pas peut-être une souffrance ? L'oeil le plus perçant n'est-il
pas possédé d'une téméraire tentation, qui recherche
le terrible, comme l'ennemi, le digne adversaire contre qui elle veut éprouver
sa force ? dont elle veut apprendre ce que c'est que « la peur » ?
Que signifie le mythe tragique, précisément
chez les Grecs de l'époque la plus parfaite, la plus forte, la plus vaillante ?
Et ce prodigieux phénomène de l'esprit dionysien ? Que signifie la tragédie,
née de lui ? - Et encore, ce dont mourut la tragédie, le socratisme de la
morale, la dialectique, la pondération et la sérénité de l'homme théorique,
- comment ? ce même socratisme ne pourrait-il pas être justement le signe de
la décadence, de l'épuisement, de la fragilisation, de l'anarchisme dissolvant
des instincts ? La « sérénité hellénique » des derniers Grecs ne
serait-elle qu'un crépuscule ? la volonté épicurienne contre
le pessimisme, qu'une précaution de malade ? Et la science elle-même,
notre science, - oui, envisagée comme symptôme de vie, que signifie au fond,
toute science ? Quel est le but, pis encore quelle est l'origine de toute science ?
L'esprit
scientifique n'est-il peut-être qu'une crainte et une diversion en face du
pessimisme ? Un ingénieux expédient contre - la
vérité ? Et, pour parler moralement, quelque chose comme la peur et
l'hypocrisie ?
Pour parler immoralement : de la ruse ? Ô Socrate', Socrate, était-ce là
peut-être ton secret ? Ô mystérieux ironiste, était-ce là ton - ironie ?
2.
Ce
qu'il me fut alors donné de concevoir, quelquechose de terrible et de périlleux,
un problème hérissé de
cornes , pas absolument un taureau sauvage, en tout cas un problème nouveau
: je dirais aujourd'hui que ce fut le
problème de la science elle-même
- de la science considérée pour la première fois comme problématique, comme
discutable.
Mais le livre où j'épanchai alors la défiance et la fougue de ma
jeunesse, - un livre impossible devait naître d'une tâche aussi antijuvénile ! -
construit seulement à partir d'expériences personnelles, précoces et hâtives,
qui toutes se situaient à la limite du communicable, appuyé par ses fondations
sur le terrain de l'art', - car le
problème de la science ne peut être reconnu sur le terrain de la science ; -
un livre s'adressant peut-être à des artistes possédant le complément des
aptitudes spéciales pour l'analyse et la comparaison (c'est-à-dire à une espèce
exceptionnelle d'artistes, qu'il faut chercher et qu'on ne voudrait même pas
chercher ... ), bourré d'innovations psychologiques - et de mystérieux secrets
d'artiste, avec, à l'arrière-fond, une métaphysique d'artiste; une oeuvre de
jeunesse, pleine d'ardeur et de mélancolie juvéniles, indépendante, obstinément
intransigeante, même si elle semble céder à une autorité ou à une déférence
particulière, en un mot une oeuvre de début voire dans le mauvais sens du mot;
en dépit de la tournure sénile du problème, entachée de tous les défauts de
la jeunesse, avant tout, de ses longueurs excessives, de ses élans tumultueux
et de ses violences : par ailleurs, en considération du succès qu'il obtint
(particulièrement auprès du grand artiste auquel il s'adressait comme pour un
échange, Richard Wagner), un livre confirmé, je veux dire un livre qui, en
tous cas, a donné satisfaction aux « meilleurs de son temps ». Pour ces
raisons, il devrait être traité avec quelque déférence et certains égards ;
cependant je ne veux pas dissimuler tout à fait l'impression désagréable
qu'il me produit aujourd'hui : combien, après seize années, il se présente
comme un étranger - à mes yeux plus expérimentés, cent fois plus sévères,
bien qu'aucunement refroidis, et qui aussi ne se détourneraient pas de cette même
tâche à laquelle ce livre audacieux osa le premier se mesurer, à savoir de
considérer la science sous l'optique de l'artiste et l'art
sous l'optique de la vie...
3.
Encore
une fois, ce livre me parait aujourd'hui un livre impossible, - je veux dire mal
écrit, lourd, pénible, aux images forcenées et incohérentes, sentimental, édulcoré
çà et là jusqu'à l'effémination, inégal dans le temps, dénué d'une
volonté de netteté logique, très convaincu et, à cause de cela, se
dispensant des preuves, se défiant même de la décence de prouver, en tant que
livre d'initiés, « musique » pour ceux-là, dont la musique fut le baptême,
et qui, depuis l'origine des choses, sont unis par le lien commun des
connaissances artistiques rares, bannière de ralliement pour une consanguinité
in artibus, - un livre hautain et
enthousiaste, dirigé de prime abord plus encore contre le profanum
vulgus des « intellectuels » que
contre le « peuple », mais qui, comme son influence l'a prouvé et le prouve
encore, s'entend assez bien à découvrir ses enthousiastes et à les entràiner
dans un lacis de voies nouvelles et vers des places de danse.
En tous cas, - on dut l'avouer avec curiosité et répugnance, - ici
parlait une voix étrangère, l'apôtre «
d'un dieu (encore) inconnu »', qui, d'ici là, se cachait sous la barrette du
savant, sous la pesanteur et la morosité dialectique de l'Allemands même sous
les mauvaises manières du wagnérien ; il y avait là un esprit rempli
d'exigences nouvelles et encore innommées, une mémoire gonflée
d'interrogations, d'observations, d'obscurités, auxquelles venait s'ajouter,
comme un point d'interrogation de plus, le nom de Dionysos; ici parlait, - on le
remarqua avec défiance, - quelque chose comme une âme mystique, presque une âme
de ménade, qui, tourmentée et capricieuse, et quasi irrésolue, si elle doit
se livrer ou se dérober, balbutie en quelque sorte une langue étrangère.
Elle aurait dû chanter, cette « âme 'nouvelle », - et non parler ! Quel dommage
que je n'aie pas osé exprimer en poète ce que j'avais à dire alors : peut-être
bien que cela m'eût été possible ! Tout au moins aurais-je pu m'exprimer en
philologue : car, pour les philologues', dans ce domaine, il reste encore
aujourd'hui à peu près tout à découvrir et à mettre en lumière ! Avant
tout, le problème qu'il se pose ici un problème, - et que les Grecs
demeureront totalement inconnus et irreprésentables, aussi longtemps que nous
n'aurons aucune réponse à cette question : « Que signifie
"dionysien" ? »...
4.
Oui, que signifie «
dionysien » ? - On trouvera dans ce livre une réponse à cette interrogation,
- c'est un « initié » qui parle ici, l'adepte élu, l'apôtre de son dieu.
Peut-être serais-je aujourd'hui plus circonspect, moins éloquent pour
traiter d'une question psychologique " aussi compliquée que la recherche
des origines de la tragédie chez les Grecs.
Un point fondamental est la mesure de subjectivité du Grec en face de la
souffrance, son degré de sensibilité, - ce degré n'a-t-il jamais varié ? Ou
bien le rapport fut-il inversé, - cette question de savoir si son désir,
toujours plus fort de beauté, de
fêtes, de réjouissances, de cultes nouveaux, n'est pas fait de détresse, de
misère, de mélancolie, de douleur ? Et en supposant que ce fût vrai - et Périclès
(ou Thucydide) " le donne à entendre dans la grande oraison funèbre - :
d'où viendrait alors le désir contraire et chronologiquement antérieur, le désir
de l'horrible, la sincère et âpre
volonté que les premiers Hellènes portaient vers le pessimisme, le mythe
tragique, la peinture de tout ce qu'il y a de terreur, de cruauté, de mystère,
de néant, de fatalité au fond des choses de la vie, - d'où devrait alors
venir la tragédie ? Peut-être de la joie,
de la force, d'une santé exubérante, d'une pleine surabondance ?
Et quelle signification
prend alors, physiologiquement parlant, ce délire particulier qui fut la source
de l'art tragique aussi bien que celle de l'art comique, le délire dionysiaque
? Comment ? Le délire ne serait-il peut-être pas inévitablement le symptôme
de la dégénérescence, de la décadence, de la civilisation suravancée ? Y
a-t-il peut-être - question pour les médecins aliénistes une névrose de la santé
? de la jeunesse des peuples, de leur adolescence ? Que nous indique cette
synthèse d'un dieu et d'un bouc dans le satyre " 9 Quelle expérience,
quelle impulsion irrésistible amenèrent le Grec à représenter par un satyre
le rêveur dionysien, l'homme primitif ? Et pour ce qui regarde l'origine du
choeur, dans ces siècles où florissait la force physique du Grec, où l'âme
grecque débordait de vie, y eut-il peut être des enthousiasmes endémiques,
des visions et des hallucinations se communiquant à des cités entières, à
des assemblées entières dans les temples ? Comment ?
Si pourtant les Grecs, précisément dans la splendeur de leur jeunesse,
avaient eu la volonté du tragique et avaient été pessimistes ? Si, pour
employer une parole de Platon, le délire avait été justement ce qui a apporté
les plus grands bienfaits pour Hellas ? Et si, d'un autre côté et au
contraire, les Grecs, à l'époque même de leur dissolution et de leur
affaiblissement, étaient devenus toujours plus optimistes, plus superficiels,
plus cabotins, et aussi plus passionnés pour la logique, plus ardents à
concevoir la vie logiquement, c'est-à-dire à la fois plus « sereins » et
plus « scientifiques » ? Comment ? en dépit de toutes les « idées modernes
» et des préjugés du goût démocratique, la victoire de l'optimisme,
la rationalité, dès lors prédominante, le pratique et théorique
utilitarisme, aussi bien que la démocratie elle-même, dont il est
contemporain, - tout cela ne pourrait-il pas
être le symptôme du déclin
de la force, de l'approche de la vieillesse et de la lassitude physiologique ?
Et non - le pessimisme ? Épicure " ne fut-il pas un optimiste - précisément
en tant que malade ? - On le voit,
c'est d'un véritable fardeau de questions graves que s'est chargé ce livre, -
ajoutons-y, de toutes, la question la plus grave encore ! Que signifie, dans
l'optique de la Vie, - la morale ?...
5.
Déjà, dans la préface
à Richard Wagner, c'est l'art, - et non la morale, - qui est présenté comme
l'activité essentiellement métaphysique de
l'homme; au cours de ce livre se reproduit à différentes reprises cette
singulière proposition, que l'existence du monde ne peut se
justifier qu'en tant que phénomène esthétique.
En effet, ce livre ne reconnaît, au fond de tout ce qui fut, qu'une pensée
et arrière-pensée d'artiste, - un « Dieu », si l'on veut, mais, à coup sûr,
un Dieu purement artiste, absolument dénué de scrupule et de morale, pour qui
la création ou la destruction, le bien ou le mal sont des manifestations de son
caprice indifférent et de sa toute puissance ; qui se débarrasse, en
fabriquant des mondes, du tourment de
sa plénitude et de sa pléthore, qui
se délivre de la souffrance des
contrastes accumulés en lui-même. Le
monde, la rédemption de Dieu, à tout instant acquise,
en tant que vision éternellement changeante, éternellement nouvelle de
celui qui porte en soi les plus grandes souffrances, les plus irréductibles
conflits, les plus extrêmes contrastes et qui ne peut s'en affranchir et se libérer
que dans l'apparence : toute cette métaphysique
d'artiste peut être traitée d'arbitraire, d'oisive, de fantaisiste, -
l'essentiel est qu'elle trahit dès l'abord un esprit qui, à tout événement,
décida de se mettre en garde contre l'interprétation et la portée morales
de l'existence. Ici est proclamé,
pour la première fois peut être, un pessimisme « par-delà le bien et le mal
» ; ici cette « perversité du sentiment », contre laquelle Schopenhauer ne
se lassa pas de lancer à l'avance ses
être le symptôme du déclin
de la force, de l'approche de la vieillesse et de la lassitude physiologique ?
Et non - le pessimisme ? Épicure " ne fut-il pas un optimiste - précisément
en tant que malade ? - On le voit,
c'est d'un véritable fardeau de questions graves que s'est chargé ce livre, -
ajoutons-y, de toutes, la question la plus grave encore ! Que signifie, dans
l'optique de la Vie, - la morale ?...
6.
On comprend à quel problème
j'osai désormais m'attaquer dans ce livre ?... Combien je regrette maintenant
de n'avoir pas eu le courage (ou l'immodestie) d'employer, pour des idées aussi
personnelles et audacieuses, un langage
personnel, - d'avoir péniblement cherché à exprimer, à l'aide de
formules kantiennes et schopenhaueriennes, des opinions nouvelles et insolites
qui étaient radicalement opposées à l'esprit comme au sentiment de Kant et de
Schopenhauer ? Que pensait Schopenhauer de la tragédie ? « Ce qui donne au
tragique un essor particulier vers le sublime - dit-il (Monde comme Volonté et comme Représentation, II, 495)
", - c'est la révélation de cette pensée, que le monde, la vie, ne
peut nous satisfaire complètement, et par conséquent n'est
pas digne de notre attachement : c'est en cela que consiste l'esprit
tragique, - il nous amène ainsi à la résignation.
» Oh ! quel autre langage me tenait Dionysos ! Oh ! comme ce « résignationisme
» était alors loin de moi ! - Mais il y a dans ce livre quelque chose de pire
encore, et que je regrette beaucoup plus que d'avoir obscurci et défiguré par
des formules schopenhaueriennes mes visions dionysiennes : c'est de m'être, en
un mot, gâté le grandiose problème
grec, tel qu'il s'était révélé à moi, par l'intrusion des choses
modernes ! De m'être attaché à des espérances, là où il n'y avait rien à
espérer, où tout indiquait trop clairement une fin ! D'avoir, à propos de la
plus récente musique allemande ", commencé à divaguer sur « l'âme
allemande », comme si elle était justement sur le point de se découvrir et de
se retrouver, - et cela à une époque où l'esprit allemand, qui, il y a peu de
temps encore, avait possédé la volonté de dominer l'Europe, la force de
diriger l'Europe, en arrivait, en guise de conclusion testamentaire,à l'abdication,Et
sous le pompeux prétexte d'une fondation d'empire,évoluait vers la médiocrité,
la démocratie et les « idées
modernes » ! En effet, j'ai à juger sans espoir et sans ménagement cette «
âme allemande », et en même temps l'actuelle
musique allemande, comme étant d'outre en outre pur romantisme
la plus antihellénique de toutes les formes art imaginables : mais, par
surcroît, une détraqueuse de nerfs de premier ordre, deux fois dangereuse pour
un peuple qui aime la boisson et honore l'obscurité comme une vertu, à cause
de sa double propriété de narcotique produisant l'ébriété et
l'obnubilation. En laissant
naturellement de côté toutes les espérances prématurées et les inopportunes
applications aux choses actuelles, qui gâtèrent alors mon premier livre, le
grand point d'interrogation dionysien, même en ce qui concerna la musique,
reste toujours où je l'avais placé : que devrait être une musique dont le
principe originel serait, non pas le romantisme, à l'exemple de la musique
allemande, - mais l'esprit dionysien ?...
7
- Mais, cher monsieur,
qu'a-t-on jamais entendu
par romantisme si votre
livre n'est pas romantique ?
Est-il possible de pousser
plus loin la haine du « temps présent », de la « réalité » et des « idées
modernes » que vous ne avez fait
dans votre métaphysique d’ artiste - qui préfère croire au néant
et même au diable plutôt qu'au « présent » ? Au-dessous de la polyphonie
contrapuntique dont vous tentez de séduire nos oreilles ne gronde-t-il pas une
basse fondamentale de colère et de destruction joyeuses ? Une farouche résolution
contre tout ce qui est « actuel », une volonté qui n'est certes pas très éloignée
du nihilisme pratique, et qui semble dire : « Que rien ne soit vrai, plutôt
que vous ayez raison, plutôt que
triomphe votre vérité ! » Écoutez
vous-même des deux oreilles, monsieur le pessimiste adorateur de l'art, un seul
passage, choisi dans votre livre, le passage, nullement dénué d'éloquence, du
« tueur de dragons », qui semble comme un piège insidieusement tendu aux
jeunes oreilles et aux jeunes coeurs. Quoi ? N'est-ce pas l'authentique et véritable profession de
foi du romantisme de 1830, sous le masque du pessimisme de 1850 ? et derrière
cette profession de foi n'entend-on pas préluder le finale consacré, en usage
chez les romantiques, - rupture, écroulement, retour, et enfin prosternation à
deux genoux devant une vieille foi, devant le Dieu ancien ?... Quoi ? votre
livre de pessimiste n'est-il pas lui-même une oeuvre de romantisme et d'antihellénisme,
quelque chose « qui, à la fois, énivre et obnubile », en tout cas, un
narcotique, un morceau de musique, voire de musique allemande ? Mais qu’on en juge :
« Figurons-nous une génération
grandissant avec cette intrépidité du regard, avec cette impulsion hérdique
vers le monstrueux, l'extraordinaire ; imaginons l'allure hardie de ce tueur de
dragons, la fière témérité avec laquelle ces êtres tournent le dos aux
doctrines débiles de l'optimisme, pour « vivre résolument » d'une vie pleine
et entière : n'y avait-il pas nécessité
que l'homme tragique de cette civilisation, autodidacte en gravité et en
terreur, dût désirer un art nouveau, l'art
de la consolation métaphysique, la
tragédie, comme une Hélène lui appartenant, et s'écrier avec Faust :«
Et ne devais-je pas, avec une violence passionnée,faire naître à la vie la
forme la plus divine ? " »
« N'y avait-il pas nécessité
? »
... Non, trois fois non !
Ô jeunes romantiques : il n'y avait pas nécessité ! Mais il est très
vraisemblable que cela se termine ainsi,
que vous finissiez ainsi, c'est à dire « consolés », comme cela est écrit,
en dépit de tous vos efforts pour connaître par vous-mêmes l'énergie et la
terreur, « métaphysiquement consolés », bref, ainsi que finissent les
romantiques, chrétiennement... Non ! Il
vous faudrait d'abord apprendre la consolation de ce côté-ci, - il vous
faudrait apprendre à rire, comme mes
jeunes amis, si toutefois vous vouliez absolument rester pessimistes ; peut-être
bien qu'alors, sachant rire, vous jetteriez un jour au diable toutes les
consolations métaphysiques ", - et pour commencer la métaphysique elle-même
! Ou, pour employer le langage de ce monstre dionysien, qui a nom Zarathoustra
:
« Élevez vos coeurs, mes
frères, haut, plus haut
« Et n'oubliez pas non
plus vos jambes ! Élevez aussi vos jambes,'bons danseurs, et mieux que cela :
vous vous tiendrez aussi sur la tête !
« Cette couronne du
rieur, cette couronne de roses : c'est moi-même qui me la suis mise sur la tête,
j'ai canonisé moi-même mon rire. Je
n'ai trouvé personne d'assez fort pour cela aujourd'hui.
« Zarathoustra le
danseur, Zarathoustra le léger, celui qui agite ses ailes, prêt au vol,
faisant signe à tous les oiseaux, prêt et agile, divinement léger : -
« Zarathoustra le divin,
Zarathoustra le rieur, ni impatient, ni intolérant, quelqu'un qui aime les
sauts et les écarts ; je me suis moi-même placé cette couronne sur la tête !
« Cette couronne du
rieur, cette couronne de roses : à vous, mes frères, je jette cette couronne !
J'ai canonisé le rire ; hommes supérieurs, apprenez
donc - à rire ! »
(Ainsi
parlait Zarathoustra, IV).
Sils-Maria,
Haute-Engadine.
Août 1886.
FAC PHILO anime par Christophe Paillard ( Université Lyon III) http://www.univ-lyon3.fr/philo/liens.htm
CLASSIQUES DE SCIENCES Sociales ( Chicoutimi , Québec )http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/
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issues de la recherche fait apparaître des risques et
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